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Méchoui ? Mais non.

jeudi 21 novembre 2013

Méchoui ? Mais non.

On a oublié aujourd’hui que, bien avant les puantes déclarations sur « le bruit et l’odeur » des immigrés et les « Un, ça va. Plusieurs, bonjour les dégâts », c’est un cacique « socialiste » qui s’était adonné à une déclaration du genre, ouvrant ainsi la porte aux décomplexées « opinions » racistes qui depuis ne cessent d’augmenter leur concert nauséabond à tous les coins et au centre de l’hexagone.

Gaston Deffere : « … Des groupements familiaux de souvent plusieurs dizaines de personnes qui portent en outre le costume traditionnel et vivent suivant les rites du pays. Ils font griller le mouton dans la cour. Etc. »
Claude Lanzman : « C’est ce que disait Le Pen l’autre soir. »
Gaston Deffere : « Je n’ai pas écouté Le Pen mais je vous dis ceci : si, vous, on vous emmenait dans les Aurès ou dans l’Atlas et qu’on vous dise : vous allez vivre avec du lait de chameau et des figues, vous diriez : moi je regrette beaucoup, je veux un bifteck et des frites. »
Extrait du Numéro spécial dela revue Les temps modernes : « L’immigration maghrébine en France », Mai 1984.

Monsieur Gaston,
Etant, par le plus grand des hasards, tombé nez à nez avec vos déclarations reproduites dans le dernier numéro des Temps modernes (Je feuillète rarement ce Zambèze de la connerie degôche), l’envie m’a pris de vous faire savoir que :
Bien qu’étant né en France de parents français dont les parents étaient français (Ce qui, sous le gouvernement de Vichy était requis pour prouver que l’on était pas un métèque passible de la chambre à gaz), j’ai déjà « fait griller le mouton dans la cour en savourant la musique de Farid El Atrache et en dansant sur celle de Nass El Ghiwane. J’ai aimé ça et je recommencerai.*

Par ailleurs, je remarque que dans votre croisade en faveur de la culture du bifteck (Beefsteack) frites, vous n’allez pas jusqu’à vous inquiéter de la prolifération d’un autre rite étrange venu d’ailleurs : celui qui consiste à ingurgiter, au rythme trépidant de bruits électroniques, une pastille de néo-viande brûlée arrosée d’une substance rougeâtre et glissée entre deux tranches de néo-brioche que l’on accompagne d’un liquide douteux dont l’appellation évoque la cocaïne. Les fidèles s’y adonnent dans des espèces de mosquées en plastique éclairées au néon pour la construction desquelles nombre de nos traditionnels bougnats ont été rasés sans que cela semble vous émouvoir.

Ne croyez pas cependant que je veuille vous inciter, par une telle remarque, à lancer Super-Dupont contre les « fast food ». Etant athée, donc ne cherchant à évangéliser personne, je ne souhaite pas plus la persécution de cette religion que celle d’aucune autre, pas même celle de la tartuferie politicienne qui pourtant le mériterait bien. Et de plus je n’attends rien des hommes d’état donc n’ai rien à leur demander. Non, je me contente simplement de constater que votre médisance est nuancée, que certains graillons vous paraissent plus tolérables que d’autres, et que je n’aime pas cette manière de tenter de glisser du mensonge xénophobe dans ma Boukha ou mon Chassagne-Montrachet.

Déguiser les mangeurs de moutons en boucs émissaires était jusqu’à présent une tactique qui faisait Führer dans d’autres camps. Merci de confirmer, par votre généreuse maladresse, qu’entre racoleurs de veautants les nuances ne sont pas si grandes au fond.

Mais la France n’est pas peuplée que d’imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Les coqs qui veulent être rois sur leur fumier ne devraient pas trop s’imaginer pouvoir insulter impunément les poules dont ils gobent les œufs d’or. Inversant la formule des alchimistes de l’économie, elles pourraient très bien changer cet or en plomb, pour leur plus grand dépit.

Un cosmopolite,
Paris, le 4 janvier 1983.

*Je pense qu’aujourd’hui cela me vaudrait certainement de perdre ma belle nationalité puisque, poursuivant sur la voie tracée par Gaston, les employés zélés de l’administration, pour déterminer si une avocate d’origine maghrébine mérite d’être reconnue française, lui demandent combien de fois par semaine elle mange du couscous ! (Le Monde diplomatique, Juin 2002)