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Il n’y a rien à craindre

jeudi 21 novembre 2013

Il n’y a rien à craindre*

Il n’y a rien à craindre. Les propagandistes exagèrent toujours. Moi qui travaille à la télévision, je suis bien placé pour le savoir. Mais aujourd’hui, je vous dit la vérité, celle du journal de 20 h : Il n’y a rien a craindre.

Il n’y a rien à craindre. L’accident de Tchernobyl est plus important que ceux du Bugey ou de Three Mile Island, mais c’est tout de même moins grave que si c’était pire. Il n’y a eu que deux cents morts (ou deux mille, ou… Bon, attendez qu’on se concerte !). De toutes façons c’était des types qu’on ne connaissait même pas.

Il n’y a rien à craindre. Les autorités l’assurent (Et les autorités ne mentent jamais). En France, le seuil légal de radioactivité n’a pas été dépassé. Croyez bien que, s’il l’avait été, nous aurions porté plainte contre les particules radioactives et le vent qui les porte. Nous ne sommes pas hommes à laisser bafouer l’autorité de la république.

Il n’y a rien à craindre. Mettez simplement des masques à gaz à vos vaches ; faites leur brouter du béton ; habillez vos tourteaux et vos huitres de combinaisons de plongée ; ne donnez que du lait en poudre à vos bébés (ça les préparera à la viande en tube) ; lavez vos salades, mais avant -pour plus de sureté- lavez aussi l’eau que vous allez utiliser.

Il n’y a rien à craindre. Si vous ressentez des symptômes bizarres, remplissez le formulaire en quinze exemplaires : Nous créerons une commission d’enquête. Et, si vous crevez avant qu’elle soit parvenue à des conclusions, adressez-vous à la commission d’indemnisation. Vous avez droit à un cercueil en plomb. N’allez pas vous en priver par négligence.

Il n’y a rien à craindre. En France, un tel accident ne peut pas se produire. Les experts veillent. D’ailleurs, nous en avons un parmi nous :
  Monsieur l’expert, pouvez vous tout nous dire ?
  Bien sûr, je peux tout vous dire.
  Vous le pouvez ?
  Oui.
  Il peut le dire. Bravo, Monsieur l’expert. Merci Monsieur l’expert.

Donc, vous l’avez entendu : Il n’y a rien à craindre. Laissez faire les spécialistes. Ils contrôlent entièrement la situatioooouuuh… crouiccc… craccch… crouchhh… iiiiiiiiiiiiiiihhhhh… Aaaargh !

Plouézec, Le 10 mai 1986.

*Tract diffusé au lendemain de l’incendie de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Voir, entre autres : Tchernobyl, anatomie d’un nuage, Editions Gérard Lebovici, 1987 et Bella et Roger Belbéoch, Tchernobyl, une catastrophe, Allia, 1993), tout d’abord lors de la manifestation contre le projet de centrale nucléaire de Plouézec (Bretagne) -abandonné depuis, les décideurs ayant dû se souvenir de Plogoff- et ensuite dans divers autres lieux de France et de Navarre, de Catalogne et d’Estrémadoure, de Brandebourg et du Hainaut.
Je me flatte d’avoir été par la suite membre du Comité « Irradiés de tous les pays, unissons-nous » qui, malgré une fin chaotique, a contribué pendant quelques années à la critique radicale de la société qui a fait du nucléaire son phare (Voir, Histoire lacunaire de l’opposition à l’énergie nucléaire en France, Editions La lenteur, 2007)
Depuis, la catastrophe de Fukushima a confirmé largement tout ce qui incite à haïr le choix de l’énergie nucléaire, et le tapis de mensonges que ne cessent de dérouler ses zélateurs (Voir, Nadine et Thierry Ribault, Les sanctuaires de l’abîme, Editions de l’Encyclopédie des nuisances, 2012) et donne raison à tous ceux qui, sans soupeser les becquerels, veulent que ça cesse tout de suite.