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Epines de rose.

mercredi 6 août 2014

Je suis un vieux gars comme on dit par ici, c’est-à-dire que je commence à avoir de la bouteille, d’une de ces bouteilles qui gardent la forme de leur contenu comme le remarque subtilement un dénommé Ylipe qu’en aparté je vous conseille de lire (Textes sans paroles). Je suis un vieux gars qui en a vu pas mal des baratineurs et des gobe-couillonnades courant dans leur sillage. Aussi me suis-je bien bidonné à la lecture des journaux commentant l’anniversaire de l’arrivée au gouvernement de la gôche il y a vingt ans.

On a pu y voir rappelé que ces gens étaient parvenus au pouvoir grâce à leur capacité à faire espérer les millions d’hommes et de femmes qui ne pouvaient plus continuer à vivre dans cette société par la promesse de changer la vie au moyen d’une rupture avec la société capitaliste selon les propres mots du démagogue chef de la bande.

Puis on a pu lire les justifications foireuses de ces nouveaux califes qui, ayant laissé très vite cette idée de rupture au vestiaire du palais bourbeux, se sont convertis avec empressement au credo prétendument libéral d’un capitalisme sans frein assurant à leur « réalisme » opportuniste de confortables fins de mois.

On a pu aussi entendre les pleurnicheries tardives des gogos toujours partants pour se faire arnaquer, déplorant la « trahison » de leurs rêves d’alors et faisant le décompte de la longue et inutile patience les ayant menés jusqu’au bout de l’impasse des roses en toc. Nous n’avons pas su voir plus vite, ni plus loin, écrit un de ces abusés volontaires qui a si longtemps fermé les yeux pour ne pas faire « le jeu de la droite » et qui a mis sa plume au service de ce bluff gluant.

Il n’était pourtant pas difficile, dès le 10mai 1981, de voir plus vite et plus loin. Certains l’ont fait qui, ne succombant pas au chant des sirènes socialeuses, annonçaient dans un tract intitulé Le coup du père François : A partir de maintenant, tout sera différemment comme d’habitude. Les esclaves menés jusqu’ici au chagrin par la chiourme de droâte le seront désormais par les manieurs de carottes de gôche. Il y avait aussi cet écrivain et cinéaste encore situationniste, alors fort censuré, et panthéonisé depuis pour de moins bonnes raisons, qui disait : La gauche unie n’est qu’une petite mystification défensive de la société spectaculaire.

Mais la propension de la plupart des humains à se raccrocher à des illusions flattant leur mollesse et leur lâcheté est immense. C’est ainsi que la société française est repartie, en 1981, pour vingt ans de capitalisme conquérant avec même l’aide de prétendus « libertaires » claironnant le refrain des nouveaux fossoyeurs de révolte : Il faut leur laisser du temps !
Comme la passivité fait son lit, elle se couche, disait aussi le Debord déjà cité. Les naïfs de gôche ont donc mal dormi, longtemps, pour finir par se réveiller avec une atroce migraine et bien vouloir commencer à en admettre, du bout des lèvres, la cause qu’il n’aurait pas été difficile d’identifier plus tôt.

Mais on n’a pas pour autant fini de rire jaune car, alors que se dissipent les effets hypnotiques de l’opium de gôche, trop coupé de caviar pour rester efficace, on peut voir se dresser la relève des arnaqueurs : les apôtres de la « gôche de la gôche », les frères prêcheurs du capitalisme à visage humain, du marché « moralisé » et de son despotisme peint en vert.

Et l’on voit se ruer les déçus qui en redemandent, les floués qui veulent refaire un tour sur le manège de la duperie et qui, dans vingt ans, diront de nouveau : Nous n’avons pas su voir plus vite, ni plus loin.

Et leur vie sera passée dans les déceptions, les humiliations, les insultes et les coups. Et notre vie aussi, qui ne peut s’épanouir si l’humanité ne s’épanouit pas.

Que disait Louis Scutenaire déjà ? Chaque livre d’Histoire en se fermant fait le même bruit : Abrutis !

A la prochaine, si Noske le veut bien.

Gédicus, le 25 mai 2001.