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Je participe, tu participes... Ils profitent !

mercredi 6 août 2014

Je participe. Tu participe, etc… Ils profitent.*

*Affiche, Mai 1968.

En ce lendemain d’élections exaltantes, je crois venu le moment de le dire : Je suis pour la démocratie « participative ». Je pense qu’il est important d’accorder aux professionnels de la politique la possibilité de faire entendre leurs voix dans les débats relatifs au gouvernement de la société. Je crois que ce domaine ne doit pas être abandonné aux mains des seuls citoyens. Je pense aussi qu’il est nécessaire d’accorder aux patrons la possibilité de donner leur avis sur les décisions qui seront prises concernant les choix de production et l’organisation du travail. Bien entendu, dans les deux cas, il ne peut s’agir que d’une démarche « consultative ». On ne peut tout de même pas les laisser décider ! Mais il est intéressant qu’ils puissent « participer » de cette manière à l’élaboration des décisions qui vont les concerner.

Quoi ? Je déconne ? Eh, oui, je m’amuse à retourner comme une crêpe un discours à la mode. Mais pourquoi des suggestions formulées dans ce sens semblent-elles tellement incongrues alors que dans l’autre sens elles passent comme une lettre à la poste, du temps où elle était service public ?

Quoi ? Vous ne trouvez pas qu’elle est un peu grosse cette tarte à la crème rance, la démocratie « participative », promue par le marketing électoral comme une grande avancée de la démocratie ?

Si la démocratie avance ainsi c’est qu’elle avait beaucoup reculé. Quoi ? Plus de 200 ans après 1789, découvrir qu’il serait démocratique que les citoyens participent un tout petit peu à l’élaboration des décisions qui vont affecter leurs vies, c’est un grand progrès ?

Pour qui sait entendre, cela me semble plutôt l’aveu que ce qu’on appelle ici démocratie est un système de gouvernement auquel les citoyens ne participent pas. Cela me semble plutôt la preuve que l’esprit de la grande révolution française a été trahi et a servi de déguisement à son contraire : la naissance d’une aristocratie d’un autre genre.

Certes, les gens comme moi n’avaient pas besoin de cette preuve de plus pour savoir à quoi s’en tenir, mais le fait que ce terme de « démocratie participative » ne fasse pas aussitôt pisser de rire dans tous les HLM et lotissements de France, et soit au contraire pris au sérieux par les incurables gogos de la gogôche, en dit long sur ce qu’une profonde et durable abdication de la « souveraineté » du peuple a pu faire comme dégâts dans les esprits.

Soyons clairs : depuis quelques temps, de plus en plus de prétendus citoyens se rendent compte que dans cette prétendue démocratie ils n’ont aucun pouvoir de décision. Ça commence à les énerver et certains se prennent de l’envie de vouloir reconquérir ce pouvoir. La roublardise politicienne comprend alors qu’elle ne peut plus couillonner les gens sans feindre de s’intéresser à ce qu’ils pensent. Elle met donc en place ces assemblées « consultatives » de la démocratie « participative », sortes d’ « enquêtes d’utilité publique » élargies qui, comme celles-ci, seront les lieux où les experts en démagogie et manipulations déploieront tous leurs talents pour faire avaler la couleuvre des décisions que les « autorités » auront déjà choisi de prendre. Ainsi, le citoyen pourra se flatter d’être écouté sans que cela ne change rien à ce qu’il subit. Et si cela ne lui convient pas il pourra toujours s’égosiller pour tenter de se faire entendre par ces experts en surdité de circonstance, jusqu’à en perdre sa voix, comme le premier électeur venu.

Ceux qui préfèrent se consoler d’illusions plutôt que d’obtenir du concret se satisferont sans doute de cette nouvelle simagrée des arnaqueurs du peuple. Mais ceux qui se voudraient véritables citoyens se souviendront peut être, pour le reprendre à leur compte, de ce Projet de mandat impératif adressé aux Sections de Paris en 1792 par le citoyen Varlet, dans lequel, après avoir dénoncé la nouvelle tyrannie législative de députés étant devenus aussi despotes que les rois, il propose que les représentants du peuple n’aient d’autre rôle que celui d’appliquer des mandats précis confiés à eux par le peuple souverain les ayant décidés en assemblées primaires et qu’ils puissent être révoqués s’ils n’appliquent pas ces mandats. Ceux qui se voudraient véritables citoyens et non pantins « consultés » devraient avoir à cœur de défendre cette idée d’une démocratie où les lois seraient des actes du peuple souverain aux délégués, et non des mandataires aux commettants.

Ce qu’on désigne aujourd’hui par l’appellation de « société civile » (terme à connotation militaire édifiante) est dans la même situation que le Tiers-État à la veille du Serment du jeu de paume : on ne la convoque que parce qu’on ne peut pas faire autrement, mais sans lui concéder le moindre pouvoir. Comme le Tiers-État début mai 1789, elle n’est rien. Comme lui, elle doit devenir tout.

A la prochaine si Talleyrand et Fouché le veulent bien.

Gédicus, le 23 mars 2001.