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Chiqué !

vendredi 8 avril 2022

Riss, le rigolo en chef de Charlie-Hebdo, publie une « Lettre au futur locataire de l’Elysée ». D’emblée ça laisse perplexe. Vu la déglingue de la bouffonnerie électorale, on se demande bien ce pourrait avoir à dire le moindre individu normalement constitué à celui qui gagnera la queue du Mickey.

Mais ça commence plutôt pas mal : Riss s’en prend à « l’ignoble capitalisme », système « criminel » dont il décrit fort bien la machinerie dévastatrice, et dégomme avec justesse le mensonge économique marchand, « religion de souffrance » qui s’efforce d’atténuer « la triste réalité » de l’asservissement au travail par lequel « l’être humain ne peut s’élever qu’en s’épuisant à la tâche pour gagner sa pitance » et se fait arnaquer en prime en devant acheter les objets qu’il a produits bien plus cher que ce qu’on lui a payé en salaire. Il dénonce la « liberté du marché » qui n’est que la loi du plus fort et la « course folle pour la croissance » qui ravage la planète et entraine dans des conflits « économiques d’abord, militaires ensuite ». Ceci dit juste avant le déclenchement de la guerre en Ukraine est plutôt pertinent.

Il énumère les dommages que subissent toutes les relations humaines, piégées -entre autres- par l’abrutissement que produisent les Gafam, ces « cartels de la drogue » informatique qui fabriquent des « décervelés, incapables de comprendre la réalité qui les entoure » et dont les propriétaires ont « des pouvoirs supérieurs à ceux de beaucoup de chefs d’Etat dans le monde » en total mépris de toute « démocratie ». Bref, il met sous le nez du futur « locataire de l’Elysée » l’énorme caca dans lequel se trouve le monde.

Mais c’est pour demander à celui-ci d’agir efficacement pour mettre fin à toute cette abjection. Comme si le nouveau (ou renouvelé) calife de ce boxon pouvait devenir autre chose que le majordome de ses propriétaires, serviteur zélé de leurs intérêts ! Comme si la machinerie de l’Etat était autre chose qu’un rouage de ce système prédateur ! Négligeant soudain la lucidité de son diagnostic, Riss tend sa sébile à l’altesse à venir avec une niaiserie qui invalide tout son propos : « C’est de vos tripes que surgira le génie qu’on attend de vous ».

Comme d’autres qui, hier, demandaient humblement aux requins du capital de bien vouloir se laisser un peu limer les dents, Riss réclame un bon président qui ferait tout le contraire de ce pour quoi cette fonction est programmée (et de ce que les favoris du schmilblick promettent ouvertement d’y faire). Riss cultive ainsi la fiction « démocrate » qui vise à faire croire à une authentique « souveraineté » du « citoyen » responsable par son vote de la société dans laquelle il devra vivre, et qui ne peut s’en prendre qu’à lui si elle n’est pas satisfaisante, alors qu’il saute aux yeux que le véritable pouvoir siège ailleurs, chez les princes du marché et les sultans de la bourse.

Riss, qui reproche aux élus d’être des « rois fainéants » mais ne veut pas non plus se fatiguer à prendre lui-même ses affaires en main et essayer de construire concrètement le mouvement qui pourrait réaliser le monde auquel il dit aspirer, Riss implore le prochain roitelet d’être un sauveur, comme n’importe quel veautant se jetant dans les bras du plus baratineur des démagogues. On est loin de son cri de colère initial : « Allons nous encore longtemps supporter d’être dirigés par ce système criminel et respecter servilement ses dogmes ? »

Mais on se souvient soudain que Riss fait profession d’humoriste. Et on comprend qu’il faut prendre ce livre pour ce qu’il est, volontairement ou non : une grosse farce.

Gédicus
1 avril 2022

Riss, Lettre au futur locataire de l’Elysée, Hors série Charlie Hebdo. Mars 2022.