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Quand les sauvages rient.

mercredi 6 août 2014

C’est vrai qu’elle fait peur cette sauvagerie abrutie qui lynche un père voulant défendre son fils ou torture à mort un malheureux « copain » de beuverie crétine. Mais, aujourd’hui, pas question de se demander ce qui a bien pu faire que les imbéciles qui s’y adonnent soient comme ça. Pas question de chercher à comprendre comment se fabrique cette barbarie pour intervenir sur ses causes. Ça serait de « l’angélisme » et c’est mal vu à l’heure où le bon peuple dont on a bien attisé la trouille demande qu’on brandisse le fouet.

C’était hier, quand il s’agissait de ménager la susceptibilité des vieux humanistes de gôche pour se faire élire, que l’on prétendait savoir que les inégalités sociales, les conditions de vie précaires, les clapiers urbains, l’abêtissement cathodique et tant d’autres formes de misère sont causes de cette dégoûtante et croissante barbarie. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de poser au bon samaritain mais de régner. Et pour ça, on le sait, il est plus facile de cogner que de penser ; de punir que de guérir.

Et puis, ça les arrange bien, les seigneurs du château, que les prolos soient des barbares. Ça justifie qu’on leur impose la schlague. Ça justifie la mise sous camisole flicarde de toute la société. Et ça détourne aussi l’attention de l’examen que l’on pourrait faire d’une barbarie bien plus grande : celle qui sévit sous le respectable costume du « droit » ; celle à qui l’économie sert d’épée et le « libéralisme » de bouclier.

Mais ce qu’ils ne savent pas, les seigneurs du château, tant ils méprisent l’Histoire, c’est qu’à jouer avec le feu il arrive qu’on se brûle. C’est qu’à la fin les barbares ravagent toujours les empires sans s’arrêter respectueusement aux portes des palais. Le mal qu’ils aiguillonnent dans la société pour se faire élire comme mages guérisseurs n’épargnera pas leurs domaines plus qu’il n’épargne déjà leurs neurones. Et toutes leurs murailles, aussi blindées soient elles, ne stopperont pas la pourriture quand elle aura conquis des hordes de ramollis du bulbe.

Les laissera t’on faire ? Les laissera t’on noyer le bébé d’un humain savoir vivre difficilement acquis au fil des siècles dans les rinçures de leurs baignoires cyniques ? Laissera t’on le discours « sécuritaire » des adeptes de la matraque et des menottes continuer à brailler ses inepties ? Continuera t’on à ne voir comme seul rempart à la barbarie que les formes les plus modernes de la dictature ?

N’y aura-t-il personne pour dire que ce ne sont pas les coups des pères fouettards qui arrêteront la déliquescence de la convivialité et la progression de la sauvagerie mais seulement la reconstruction de communautés humaines partageant et respectant les mêmes principes de vie ; bannissant l’égoïsme du « chacun pour soi », l’hypocrisie et le mensonge, l’asservissement et la rapacité ; favorisant l’entraide, l’attention et la solidarité, et se donnant pour tâche de construire un système social au service des individus et non des individus robots au service d’un système vampirique ; des collectivités qui, tout en cherchant à construire un monde meilleur, lutteraient contre les fondements de la barbarie moderne, pour la fin de la société du crime ayant pignon sur rue, de cette société où le crime paye, où si l’on veut empoisonner son prochain en toute impunité il vaut mieux être gros industriel que chômeur, où si l’on veut voler il vaut mieux diriger une multinationale qu’arracher un sac à main, où si l’on veut tuer il vaut mieux porter un uniforme que des fringues de rappeur, où si l’on veut échapper à la justice il vaut mieux être chef des magistrats que petit délinquant.

N’y aura-t-il que quelques petits Gédicus pour dire cela ? Si oui, préparez vos mouchoirs et prévoyez les nombreux. Cette société n’a encore senti que des chiquenaudes de ses Attila.

A la prochaine, si j’ai échappé au pilori.

Gédicus, le 22mars 2002.