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Quoique... Couac !

mardi 28 juin 2022

Quoique … Couac !

Le plus grand danger de la Bombe est dans l’explosion de bêtise qu’elle provoque.
Octave Mirbeau

Les guerres ne font pas que démolir du béton, briser des corps et dévaster des vies. Elles produisent aussi de sévères ravages dans les esprits qui, non seulement, alimentent les hystéries belliqueuses du moment, mais aussi pèsent lourd sur le futur, enterrant partout les bombes à retardement de vengeances tenaces et griefs débiles, enfantés par les discours manichéens des camps ennemis.

Il est alors presque impossible de tenir un propos nuancé sur les forces engagées ; de vouloir examiner sans œillères les torts de chacun. Dire « Oui, mais… » ; essayer d’échapper à l’obligation de prendre le parti inconditionnel de l’un ou l’autre camp est considéré comme une approbation des arguments réprouvés par l’interlocuteur ; comme une pure trahison.

Ainsi, la guerre entre la Russie et l’Ukraine s’illustre d’une copie des propagandes du temps de la guerre « froide » (qui fut plutôt brûlante pour certains) aussi grossière que son ancêtre :

A ma droite, le monde libre ; les gentilles démocraties enfilant comme un seul trouffion les godillots des USA pour défendre la liberté absolue des Ukrainiens agressés par le tyran russe. Sans arrières pensées moins nobles ; par seul amour de cette liberté que, d’ailleurs, elles garantissent parfaitement à leurs sujets (Oups ! Pardon. Il faut dire : citoyens). Sans aucune visée expansionniste, ni volonté de soutenir un bizness plutôt qu’un autre.

A ma gauche, le nouveau petit père du peuple russe qui, inquiet des manœuvres du grand Satan avançant Otan qu’il le peut sur les frontières de l’empire slave, a lancé une guerre défensive quoique fort agressive pour protéger son territoire selon une logique affectionnée, avec moins d’ampleur, par certains policiers : Je me suis senti menacé, alors j’ai tiré !

C’est ainsi que de braves gens, que l’on aurait espéré moins crédules, sommés de choisir leur camp en fonction de ces arguments caricaturaux, se laissent docilement coincer dans les mâchoires acérées de ce piège à cons.

Pourtant, on pourrait estimer que ce n’est pas parce qu’un mafieux dégaine son flingue contre un despote qu’il cesse d’être un mafieux, et que ce n’est pas parce que le despote en question prétend combattre des nazis que ses méthodes n’ont pas l’air de ressembler à celles qui, dans l’Histoire, ont sévi sous cette appellation.

On pourrait se dire que vouloir aider un peuple agressé n’implique pas forcément de gober tous les mensonges de ses souteneurs, ni adhérer à la croisade xénophobe de certains de ses soudards. On pourrait imaginer s’engager dans ce combat en défendant la perspective d’une société qui, la paix revenue, voudrait essayer de se construire sur de meilleures bases que celle de la pétaudière attaquée. Un peu comme certains résistants à la saloperie fasciste, hier, avaient l’intention de construire une société plus juste, plus fraternelle, et même, plus libertaire. Ou comme Nestor Makhno et ses amis qui ont combattu les armées blanches et rouges pour défendre les collectivités anarchistes écloses dans toute une partie de l’Ukraine, à l’époque (1917-1921) où il était hors de question de s’être libéré d’une oppression pour en subir une autre. Ou, encore, comme les révolutionnaires espagnol(e)s combattant pour défendre les collectivités de Catalogne et d’Aragon en 1937, ou les insurgé(e)s Hongrois de 1956, défendant les conseils ouvriers ayant fleuri sur la chute des staliniens. Ou comme, aujourd’hui, les combattant(e)s du Rojava défendant leur république autogérée, et les Zapatistes montrant leurs armes pour ne pas avoir à s’en servir.

Mais tout cela n’est que du rêve utopique, n’est ce pas ? Les réalistes préfèrent les étendards patriotards, les chefs à poigne, et les marchés sans entraves. Sans doute. Sans doute.

Mais… rêver… c’est si bon.
Surtout quand l’air pue la poudre et la charogne.

Gédicus
13 juin 2022