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Israël-Palestine : L’ignoble engrenage.

mercredi 25 octobre 2023

Israël, Palestine : L’ignoble engrenage.

« Quelle que soit la cause que l’on défend, elle restera toujours déshonorée par le massacre aveugle d’une foule innocente. » Albert Camus

Quelles que soit les saloperies qu’on a subies, rien ne justifie qu’on agisse en salaud. Bien qu’elle soit le produit d’une haine folle née de la douleur accumulée par les victimes d’une longue persécution, la cruauté reste de la cruauté et ne mérite aucune indulgence. L’offensive revancharde du Hamas contre Israël a beau s’expliquer par la rage causée par des décennies d’attentats subis, c’est tout de même un crime, et même un crime raciste car, loin de frapper seulement les sbires et infrastructures d’un État assassin, elle s’est déchaînée cruellement contre des « juifs » ou supposés tels, du berceau à la maison de retraite. Elle a frappé à l’aveugle des gens considérés comme aussi coupables que l’État auquel ils se trouvaient assujettis, et dont ils étaient parfois même d’actifs opposants.

Alors que cette attaque aurait pu être un glorieux acte de résistance si elle s’était limitée à frapper les agents de l’oppression que subissent les palestiniens, elle a été une explosion de la plus sordide barbarie. Quiconque veut fermer les yeux là dessus sous prétexte de soutenir le peuple palestinien est un con ou un méprisable calculateur politicard. Loin d’aider ce peuple, il contribue à ce qui le frappe depuis longtemps et va le frapper encore plus douloureusement. Soutenir les palestiniens, aujourd’hui, c’est dénoncer cette puante expédition du Hamas et l’engrenage de l’horreur qu’elle relance.

Car, bien sûr, cette attaque ne pouvait que provoquer une riposte monstrueuse de l’armée israélienne bien plus puissante que le Hamas. Celui-ci rend ainsi service aux despotes régnant sur Israël,1 en leur fournissant le prétexte justifiant qu’ils passent à une étape supérieure de leur agression permanente. Le raid du Hamas ayant horrifié les spectateurs du monde entier, gavés d’images abjectes, donne aux caïds israéliens une occasion de commuer à leur avantage la perception de la réalité. Alors que l’État d’Israël était très visiblement l’oppresseur des palestiniens, il peut aujourd’hui profiter de cette sidération pour faire oublier qu’il agit lui même en terroriste depuis qu’il existe ; qu’il s’est fondé au moyen d’actes terroristes, et continue à s’imposer par une terreur écrasante.2 Grâce à son ennemi patenté il n’est plus qu’une « démocratie » se défendant contre ces vilains terroristes qui l’agressent. Ce tour de passe-passe est soutenu par la rhétorique tambourinante qui interdit de le nommer « terroriste ». Ce qualificatif infamant ne doit désigner que ceux qui l’attaquent. Il est même obligatoire de l’utiliser si on ne veut pas être accusé d’apologie de leurs crimes.

L’État d’Israël, lui, se trouve blanchi, ses crimes occultés, tandis que sont bâillonnés ses nombreux « citoyens » qui, de l’intérieur, combattaient son despotisme.3 Il n’apparaît plus que comme « démocratie » méchamment attaquée qui, à ce titre, obtient le soutien de la majorité des autocraties toutes aussi « démocrates » gouvernant le monde, quoique certaines sentent nécessaire de l’assortir, pour la galerie, d’une très inoffensive « réprobation » qui ne met aucunement de bâtons dans les chenilles des tanks.4

Fort de ce soutien, l’état d’Israël peut invoquer sa nécessaire défense pour justifier qu’il écrase sous les bombes tous ceux qui ont le malheur d’habiter le ghetto de Gaza, nourrissons et vieillards inclus, et -dans la foulée- sacrifie les nombreux otages enlevés par le Hamas. Quiconque aurait l’idée saugrenue de souligner la ressemblance de cette « riposte » avec les massacres que le Hamas vient d’accomplir pouvant être sûr de se voir lyncher comme détestable antisémite.

C’est ainsi que le manège des crimes se justifiants l’un par l’autre accélère son tourbillon assassin, broyant toujours plus dans ses mâchoires les pauvres « civils » se trouvant à sa portée et qui ont l’honorable faiblesse de n’être fanatiques ni d’un camp ni de l’autre, assortie à la malchance d’être nés quelque part sans pour autant être des « imbéciles heureux ».

Dans ce carrousel barbare, le quidam aspirant à un peu de douceur dans ce monde de brutes, est forcé de constater qu’il manque fort de moyens pour tenter de contribuer à freiner, sinon arrêter, cette aberrante ruée vers l’horreur. Il est évident qu’il serait vain d’en appeler à un arbitrage pacifiant du conglomérat hétéroclite de chefs d’États abusivement crédités du titre ronflant de « Communauté internationale ». Les préoccupations de ces gens étant uniquement et cyniquement « géopolitiques », en dépit d’un déguisement « humanitaire » aussi minimaliste qu’hypocrite,5 attendre d’eux qu’ils fassent autre chose que se servir de ce conflit pour placer leurs pions équivaudrait à pisser dans un violon fort désaccordé.

Il serait fort candide aussi de compter sur les divers gangs politicards en pleine chasse aux veautants qui en profitent pour tirer dans les pattes de leurs concurrents. Ceux là reproduisent sur une échelle aussi puante que bouffonne les couillonnades rivales qui, là bas, orchestrent le massacre et qui vont bien servir à produire aussi dans cette douce France, cher pays de nos offenses, quelques crimes bien répugnants. Entre les nostalgiques de l’OAS se découvrant ennemis du terrorisme pourvu qu’il soit islamiste, et les ennemis de « l’islamophobie » considérant « facho » la moindre critique des fous d’Allah, quiconque voudrait essayer de faire entendre, dans cette tonitruante cacophonie, un simple langage de « bon sens » doit s’attendre à dresser contre lui toutes les rages irrationnelles que les blessures ont déchaînées et que les fanatismes attisent. Il ne peut que se sentir enfermé dans un labyrinthe miné.

Il faut pourtant essayer, si on ne veut pas se rendre complice par inaction de cette machinerie infernale qui bousille l’humanité, de mettre son gravier dans les rouages. Il faut refuser de céder aux sommations de « choisir son camp » au garde à vous 6 ; combattre tous les racismes et ce qui les alimente ; soutenir toutes les tentatives de fraternité entre opprimés de tous bords et leurs efforts pour ne pas se laisser embrigader et pour organiser eux-mêmes leur résistance, aussi fragiles soient ces tentatives, justement parce qu’elles le sont.

Halte aux bombardements sur Gaza ! Libération de tous les otages !
Pour que ces exigences minimales aient une chance de succès il faudrait une forte mobilisation des peuples faisant pression sur les « décideurs » régnant sur la planète, puisqu’il est évident qu’ils tiennent les cartes de ce jeu truqué. Il faudrait pour cela que l’internationale du genre humain 7 qui couve dans les nombreuses révoltes s’insurgeant contre cette domination mafieuse se renforce considérablement.

Gripper la mécanique des haines, freiner les ruées belliqueuses, est une nécessité évidente, mais ce ne peut être qu’une étape pour sortir de la dépendance aux semeurs de poudrières. Seule la construction d’une société libérée des saigneurs qui l’oppriment et du système qu’ils servent pourrait arrêter la course mondiale de l’humanité vers le gouffre. C’est une utopie, dites vous ? Peut être, mais plus que nécessaire. Car ce sera ça ou le bain dans les marécages de la cruauté, avant la valse mortelle au bal des vampires.

Gédicus
24 octobre 2023

1- « Fort logiquement, le sionisme a conduit à l’arrivée au pouvoir en Israël de fascistes, de racistes, de suprémacistes, d’intégristes. C’est comme si l’OAS avait gagné la guerre d’Algérie. » Pierre Stambul, Gaza, le colonialisme, l’apartheid et le suprémacisme à l’origine du carnage. 15 octobre 2023. Pierre Stambul est le porte-parole de l’Union Juive Française pour la Paix.
2- « Nier que la Palestine est victime depuis des décennies de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, c’est du négationnisme. » Pierre Stambul, Ibid.
3- Voir La logique de guerre du Hamas, Ivan Segré, Lundi matin N° 398, 9 octobre 2023.
4- Rions jaune : Alors que les États Unis usaient de leur droit de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU pour bloquer un projet d’appel à une « pause humanitaire », Joe Biden conseillait à Benyamin Netanyahou, chef de l’État israélien, de ne pas se laisser « aveugler par la colère » !
5- On ne fait rien pour empêcher que vous soyez bombardés (par ceux à qui on vend les bombes) mais on vous donne les pansements.
6- Si l’on veut choisir un camp, il semblerait logique que ce soit choisir de le défendre du mieux possible, y compris en critiquant ses erreurs et ses fautes. Sinon c’est entrer en caserne.
7- Raoul Vaneigem, Pour une internationale du genre humain, 2001.