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Déni ? Oui. Oui.

dimanche 16 avril 2023

Déni ? Oui. Oui !

Si c’est un despote que vous voulez détrôner voyez d’abord si son trône en vous est bien détruit. Khalil Gibran, Le prophète.

C’est évident : les manifestations et grèves qui ne se résignent pas expriment un ras le bol qui va bien au delà de leur prétexte. Elles disent qu’il y en a marre de trimer dans des conditions exécrables pour enrichir les gras du bide du Cac 40 ou, si l’on n’a pas la « chance » d’être exploité de la sorte, de devoir ramper dans la dèche et s’humilier pour réussir à se vendre à des maquignons tous plus truands les uns que les autres ; Marre de subir leurs sévices publics et leurs ravages de la planète ; et marre de se faire chier dessus en prime par les petits marquis du capitalisme « décomplexé ».

En dégainant son 49,3 une fois de plus, tout en vitupérant contre les « foules séditieuses », le roitelet temporaire trônant à l’Elysée a fait, pour ceux qui avaient encore des illusions, la preuve de la nature réelle du régime dont il est le très zélé majordome : un arbitraire mal déguisé en démocratie, une démocrature.

Il a confirmé ainsi le diagnostic exprimé, dès l’époque où ce dévoiement de la souveraineté du peuple s’est mis en place, par un embastillé mal bâillonné : « Si vos mandataires peuvent se passer de vous pour faire des lois ; si votre sanction leur paraît inutile, de ce moment les voilà despotes, de ce moment vous êtes esclaves . » * Approuvé par quelques Sans-culottes enragés constatant que « le despotisme est passé du palais des rois au cercle d’un comité »,** puis, au fil du temps par quelques racailles subversives : « La vérité, c’est que les formes dites constitutionnelles ou représentatives ne sont en aucune façon un obstacle au despotisme étatiste, militaire, politique et financier »,*** comme d’une manière plus frappante par des Adolphe Thiers et Gustav Noske. Il y a belle lurette que la barbarie sévit sous le sceau de la légalité.

Il est donc vain de s’affliger sur un « déni de démocratie » de plus. C’est pleurer sur la perte d’une béquille. Qui veut pouvoir jouir des droits d’une démocratie respectant ses « citoyens » doit la construire, pas essayer de ravauder le mensonge abrutissant qui tient le haut du pavé et des écrans, et moins encore se contenter d’en changer le chef. Bien sûr, il serait fort agréable que le calife actuel dégage. Mais si c’est pour le remplacer par une Führerin ça sent plutôt mauvais. Mieux vaudrait trouver les moyens pour qu’il n’y ait plus de « chefs » imposant leurs décisions à un troupeau démuni de pouvoir mais que chacun puisse être le véritable gouverneur de sa vie ; que la « cordée » se passe de « premier » la conduisant au gouffre et se confie à la lucidité de tous ses membres réfléchissant ensemble au meilleur chemin.

De la même manière il est vain de s’indigner des « violences » des cogneurs sous uniforme légal. Ils sont là pour ça. Gémir n’y changera rien. Il faut s’y opposer, voilà tout. Pas en les combattants sur le terrain militaire où ils sont équipés pour gagner à coup sûr et faire très mal à ceux dont la colère aveugle en fait des cibles faciles. Mais en déployant la force de la multitude face à laquelle ils sont très minoritaires. En débridant l’imagination qui les surprendra par des « coups de main » audacieux. En agissant là où ils ne l’ont pas prévu et comme ils ne l’ont pas prévu. Et en étant tenaces. En enfonçant le coin dans les fissures de leur « ordre » chancelant.

Car, lorsque des gouvernant n’ont plus comme ressource pour maintenir leur règne que montrer leurs muscles en lâchant leurs chiens c’est que, contrairement à ce qu’ils veulent faire croire, ils se savent fragiles, vulnérables. Quand leur conception de la société est mise en doute, quand leurs « valeurs » cessent de convaincre leurs « sujets » d’y adhérer, quand les idées qui soutiennent leur pouvoir sont perçues comme néfastes et le baratin qui sert à les faire gober est démasqué, les despotes n’ont plus que le recours à la schlague pour espérer tenir encore sur leurs trônes. Ça dure parfois cruellement bien trop longtemps, mais ça finit toujours par une chute aux poubelles de l’Histoire. L’important pour les humains étant que cette chute débouche sur un monde meilleur et non un naufrage. Cela se préface dès les débuts de la résistance, dans les formes qu’elle prend.

La meilleure manière de combattre la démocrature régnante est de cesser de s’illusionner sur elle et d’y prêter la main en ayant recours à ses « autorités » et en courant à ses arnaques électorales. C’est de construire et développer un mouvement qui remplace la compétition par l’entraide, la prédation par le respect, le servage salarié par l’activité créative et talentueuse, les chaînes de l’endettement par le refus de l’embobinage consommateur, la soumission aux diktats de « l’économie » par le bien être et l’épanouissement des humains. C’est de reprendre les moyens de cette pratique aux accapareurs qui en ont dépravé l’usage. C’est de fonder partout dans le monde des collectifs dont les assemblées permettent à chacun de gérer sa vie comme il l’entend au moyen de décisions prises après des débats entièrement libres et approfondis, de la recherche de l’entente et de l’harmonie maximale, du respect des minorités et de leurs choix de vie tant qu’ils ne blessent pas les autres, comme cela s’expérimente sur certaines Zad, dans certains squats, au Chiapas zapatiste, au Rojava, ainsi que dans certaines communautés « utopistes ». C’est développer ce mouvement et le défendre contre tout agresseur.

On le voit, bien plus que d’une retraite, c’est une offensive qu’il s’agit de mener, pour que l’humanité, au lieu de sombrer se « civilise » enfin vraiment.

Plutôt que risquer de « dégénérer », comme l’annoncent les larbins de plume du système, le soulèvement actuel régénère l’humain. Qu’il continue dans ce sens ne peut inquiéter que ceux qui craignent pour les « institutions » barbelées de la truanderie régnante. Il réjouit tous ceux et celles qu’elles ont blessés. Ça fait du monde. Ça pourrait faire un monde.

Gédicus
14 avril 2023

*D.A.F de Sade, Idée sur le mode de la sanction des lois, Novembre 1792.
**Jean Varlet, Projet d’un mandat spécial et impératif, 1792.
***Bakounine, Etatisme et anarchisme, 1873.